Dans l'ordre du Scrolling :
Le Tibet Profané et les Caves du Potala (roman/documentaire)
Les Serpents viendront pour toi (reportage)
Frieren (manga)
Il ne faut pas hésiter à prendre son temps avec cette double lecture roman/documentaire. (tous les deux sont en rayons)
Les Caves du Potala (paru en 2020 chez Gallimard) c'est le roman de Sijie Dai (écrivain et cinéaste chinois) déjà connu pour son livre Balzac et la petite tailleuse chinoise (paru en 2000 chez Gallimard). Nous partons au Tibet durant la révolution culturelle, événement phare de l'histoire de la république populaire de Chine lancé par Mao Zedong.
Les Caves du Potala prend place en 1968 dans l'ancienne demeure millénaire du Dalaï Lama qui, en exil, semble observer de jeunes gardes de l'armée rouge occuper le Palais du Potala à travers les yeux, la parole, les pensées et souvenirs de Bstan Pan - ancien peintre du Dalaï Lama - retenu prisonnier.
Le personnage de Bstan Pan se réfugie dans le passé entre deux séances de torture conduites par la cruauté du "Loup" (leader des gardes rouges). Cette petite troupe de gardes, endoctrinée par la pensée unique du régime de Mao Zedong, admire avant de détruire mais écoute et prend note avant d'en arriver aux conclusions...
Entre les reflexions artistiques et voyages au coeur du Tibet et de la Chine des années 1960, les reflexions philosophiques et violences autant physiques que morales, Les Caves du Potala offre une véritable réflexion autour de la question : l'Art peut-il avoir raison des conflits et sauver ceux qui le pratique?
On vous conseille d'approfondir cette lecture avec Le Tibet Profané (paru en 2022 chez Albin Michel) de Barbara Demick. Une enquête concernant la main mise du régime de Pekin sur le Tibet depuis plus de 70 ans maintenant. Barbara Demick utilise sa plume d'historienne pour éclaircir les zones d'ombre et celle de la journaliste pour rassembler les témoignages et raconter les histoires tout en explicitant la géopolitique. Le Tibet Profané c'est aussi une plongée dans la culture tibétaine, éternellement liée à la culture chinoise.
Barbara Demick, ancienne correspondante du Los Angeles Times à Séoul puis à Pékin n'en est pas à son premier coup d'essai. Elle aime se rendre dans les zones où elle sait qu'elle ne sera pas la bienvenue. La journaliste se métamorphose en caméléon, se camoufle pour mieux se fondre dans la masse afin d'exercer son métier et sa plume que nous pouvions découvrir dans Rien à envier au reste du monde qui traite de la Corée du Nord. (en commande et paru en 2021 chez Albin Michel)

Emilienne Malfatto est une autrice, photojournaliste et photographe indépendante française. Après avoir prêté sa plume au journal El Espectador de Bogota elle a intégré les bureaux de l'AFP au Moyen-Orient. Elle s'est postée à Bodrum en Turquie puis à Bagdad afin de couvrir pour le Washington Post la révolution irakienne. Emilienne Malfatto est aussi la lauréate du Prix Goncourt du premier roman (2021) pour Que sur toi se lamente le Tigre (paru en 2020 aux éditions Elyzad, en commande), une plongée en Irak dévoilant le destin d'une femme tombée enceinte hors mariage. Elle a aussi obtenu le très prestigieux Prix Albert Londres en Novembre dernier pour Les Serpents viendront pour toi (paru en 2021 aux éditions Les Arènes, dans les rayons).
Ce livre est à la fois une enquête journalistique mais aussi un hommage rendu grâce à une plume qui prend forme pour se mettre au service de ces hommes et femmes assassinés pour avoir osé se dresser afin de faire valoir leurs droits. Nous sommes en Colombie, plus précisement au nord du pays dans la Sierra Nevada de Santa Marta. Emilienne Malfatto nous présente Maritza et sa famille, son compagnon Alvaro et ses six enfants. Dans un récit où nous voyons à travers les yeux de la journaliste, cette dernière raconte : la montée en puissance des groupes armés et celle du trafic de drogue qui sont au coeur des enjeux. Les vies sont rythmées par ces groupes qui surveillent les moindres faits et gestes des populations. Ces dernières survivent sans aucunes possibilités de dire non.
Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, le tourisme se développe dans la région depuis 2016 grâce à "l'image de la paix retrouvée" (l'accord de paix signé entre le pouvoir colombien et les Farc en 2016, France 24 nous en parle). C'est ainsi qu'au bord des pistes se dressent "d'immenses portails [qui] marquent les entrées de grandes propriétés, plantations de café, résidences secondaires, installations écotouristiques [...].". Les violences demeurent. Maritza y succombera, assassinée, en 2019 tout comme Alvaro le fut en 2016.
Un récit émouvant et percutant. Emilienne Malfatto était sur le plateau de TV5 Monde en 2021 pour nous en parler.
Abe Tsukasa (dessin) et Yamada Kanehito (scénario)
De 12 à 72 ans.
3 tomes disponibles en français (à la biblio) sur 8 au total au Japon (série en cours)
Le tome 4 arrive le 7 Juillet
On prend un malin plaisir à tourner les pages de ce manga d'héroic-fantasy qui débute par la fin. On arrive quand tout se termine ! Le jeune guerrier humain Himmel et le prêtre Heiter, le nain guerrier Eisen et l'elfe mage Frieren sont victorieux. Le roi des démons s'est pris une raclée. Ses armées et généraux sont en déroute, son château est à l'abandon. Bref, un triomphe pour nos héros qui, enfin, quittent les terres glaciales d'Ende. Les célébrations touchent à leurs fins et nos héros se séparent après dix années de traque. Rideau.
Nous revenons cinquante ans plus tard, ou plutôt, Frieren revient cinquante ans plus tard pour honorer la promesse (nous ne dirons pas laquelle) faite à ses compagnons d'une aventure, d'une décennie. Un demi-siècle n'est qu'un battement de cil dans la vie d'une elfe. En revanche, ses alliés de jadis portent sur eux les marques de toute une vie. La vie humaine est si courte. Ils se séparent à nouveau pour ne plus se revoir.
Et c'est là que commence véritablement le récit. Collectionneuse de sorts, Frieren s'en va arpenter les territoires à la recherche de grimoires perdus pour accomplir une quête qui, jusqu'alors, semblait futile. Elle ne cherche pas l'aventure, c'est elle qui la trouve, tout comme ses nouveaux compagnons. Pour Frieren, sa magie et son développement, sa puissance étaient les seules choses qui lui importaient jusqu'à ce que...
Frieren et sa nouvelle escorte s'en vont vers le nord, vers Ende... car, c'est dans cette région que se trouve un endroit étrange nommé Paradis, un endroit qui abriterait un grimoire permettant de parler aux morts... mais c'est aussi dans cette région que se dresse le château (abandonné ?) du feu roi des démons...
Car le temps a passé et sa défaite est maintenant loin. Ses anciennes forces se sont ralliées, ses généraux sortent de leur tanière, le danger croit, il sort de l'ombre et des profondeurs dans lesquelles il s'était tapi. Plus le nord et son froid mordant approchent plus les villes et royaumes humains sont en proie au doute et à la peur. Les elfes, quant à eux, ne sont plus qu'un peuple à l'aube de l'extinction. Cependant, les mages tels que Frieren restent craints et respectés tout comme les guerriers qui ne sont plus.


Frieren c'est la rencontre entre l'aventure et la mélancolie. Le récit au présent est ponctué par les nombreux flash-back qui permettent au personnage éponyme de prendre de l'épaisseur et il en va de même pour ses compagnons (anciens comme nouveaux). Frieren fait revivre les fantômes du passé puis (alors que le lecteur ne s'y attend pas) fait un grand bond vers le futur afin de faire avancer une intrigue page-turner passionnante qui vous ensorcelle dès qu'elle est lancée. À notre avis, le gros point fort de cette série réside dans des dessins épurés, d'une précision exceptionnelle. Même si le manga est nouveau chez nous, on a quand même quelques lectures de séries en tête pour comparer. Et on est tous d'accord pour dire que le travail artistique est incroyable. On vous conseille tout particulièrement de vous arrêter sur les illustrations qui font office de transitions entre les chapitres. Elles laissent rêveur...
Ce manga développe aussi toute une réflexion (quasi philosophique) autour de la relation à autrui à travers le comportement de Frieren envers ses compagnons (anciens comme nouveaux) et le commun des mortels. Car il n'est pas dans la nature d'une elfe de s'attacher, surtout quand cette dernière est âgée d'un milénaire. Quel est l'intérêt? "Mais tout de même?" semble-t-elle se dire parfois. Ces préoccupations de Frieren face aux relations "humaines", qui feraient pâlir Nietzcshe ou Kant, occupent une grande place dans cette série (dans les trois premiers tomes en tout cas) et ce n'est pas pour nous déplaire. Le personnage éponyme met alors sa sagesse en avant et se remet en question face à l'adversité. Cependant, on ne tombe jamais dans le cliché du héros à l'eau de rose, bon à outrance, fort et socle pour tous mais fragile comme le roseau qui jamais ne rompt.
Ceci étant dit, il faut préciser que la métaphysique n'est jamais loin. Quelle est l'origine de toute chose ? Question existentielle qui est abordée sans être explicitement citée. Frieren n'enfonce pas les portes ouvertes et c'est une autre grande force de ces trois premiers tomes. Le temps suspend son vol et la douceur omniprésente laisse une impression de légerté et d'inssouciance même si l'on se doute que cela ne va pas durer éternellement. Luxe, calme et volupté... avant la tempête.
Bref, on vous recommande Frieren à 200% et on attend les prochaines traductions avec impatience. Vive le manga, vive les elfes et vive Frieren !